Parce qu’il serait réducteur de proposer une biographie définitive de Sessùn comme de dessiner un portrait figé de sa créatrice, on a plutôt envie, presque quinze ans après les débuts, de rendre compte d’un esprit. D’évoquer cette personnalité qui guide un style, invente un univers et y invite, au-delà des tendances annoncées et des figures imposées. Sessùn avance au gré d’une inspiration baladeuse, nous prend par la main et nous rappelle qu’on aime la mode quand elle nous raconte, aussi, des tas d’autres choses.
VOYAGEUSE
L’ancienne étudiante en anthropologie de Montpellier aurait pu devenir chercheuse, archéologue, pour le plaisir intense de la découverte. Ses voyages et rencontres l’ont conduite finalement à imprimer sa mémoire de quelques anciennes civilisations sur notre tissu contemporain.
C’est en Amérique du sud qu’Emma François ressent le premier choc mystique, le déclic, annonciateur d’une vocation. Cliché ? Peu importe. C’est au contact de ceux et celles qui tissent, brodent, cousent, fabriquent, par héritage du geste et du savoir-faire, sans se poser de questions, qu’elle comprend et prend le chemin qui lui ressemble.
1998 marque le passage obligé par Paris et l’incontournable salon Who’s Next où elle présente sa marque pour la première fois. Installée à Marseille, elle s’y fait remarquer en 1999 et 2001 récompensée par l’Institut Mode Méditerranée qui lui attribue le prix du Jeune Créateur. Aujourd’hui, Sessùn étend sa diffusion dans plus de six cents points de vente à l’international, deux cents en France et possède un univers à part entière, son espace, son design choisi, au cœur de trois boutiques en nom propre à Marseille, Aix-en-Provence, Paris.
Pendant que sa marque voyage, Emma continue de prendre la route. En ce moment, elle s’évade au Japon, au moins deux fois par an, séduite par le contraste nippon, l’extrême douceur et la folie urbaine, la culture respectée et l’addiction technologique ; certainement aussi pour cette conscience planétaire, éco-citoyenne, sincère. Un aspect que Sessùn développe naturellement, dès que possible, à travers des séries en fibre biologique ou issues de cultures équitables.
ESTHETE
Ecouter les cabinets de tendances pour anticiper les tons, les imprimés, formes et coupes ? Pourquoi pas, oui, mais surtout se fier à son instinct, aux émotions captées lors de la moindre sortie, échappée belle d’une nuit ou d’un séjour lointain. Aucune concession commerciale en tous cas, car comme elle le dit si bien elle-même: « Si on fait quelque chose qu’on ne sent pas, ça ne marche jamais! ».
Et parce qu’Emma François n’est pas du genre à bosser toute seule dans son coin, elle a très tôt tendu des passerelles avec le milieu des arts urbains, les amis de Montpellier, le collectif Müesli : d’où des collaborations fidèles et cohérentes pour sa marque, avec Vanska, illustratrice, créatrice ; avec Sundae, graphiste et sound designer.
Et quand on lui demande quels sont les autres artistes, dans l’absolu, qu’elle aimerait inviter pour imaginer une pièce ou une série limitée, Emma parle photographie.
William Egleston, auteur contemporain majeur dont le processus créatif sur la densité des couleurs, la composition, ne cesse de faire des héritiers. Le New-Yorkais Stephen Shore, également reconnu pour son travail sur la couleur et dont on a tous vu les images en noir et blanc de la Factory des sixties.
Enfin, au-delà de ces signatures internationales dont la touche poétique ne peut que coller à l’image de Sessùn, le cœur d’Emma bat aussi vite pour de jeunes talents, à l’instar des aquarelles enchantées, oniriques, presque symbolistes, de l’irlandaise Donna Huddleston.
TRANSVERSALE
Tant d’autres éléments, anodins et essentiels, dictent l’inspiration d’Emma François : une gamme de couleurs, une histoire, un film, une pochette de disque. C’est à partir de là, de presque rien, que se construit une collection Sessùn.
Pour l’été 2009, c’est l’attitude de songwriters égéries comme les filles de Bat For Lashes, Coco Rosie, The Do : leur manière d’inventer, de mixer vêtements ethniques, « second hand », avec des pièces actuelles.
Il est vrai qu’Emma puise son souffle dans la musique, beaucoup, par réflexe inné, héritage familial et filiation affective, comme on le ressent à l’écoute de la première « Sessùn Songs Collection » sortie en juin 2009 : une véritable collection donc, bande-son cousue avec DJ Sundae et Guillaume Sorge et dont le fil musical se déroule tout en douceur de la scène indie folk à quelques pépites électro-poétiques, récentes ou plus vintage. Intemporelles.
Cette proximité avec les univers mélomanes, Sessùn l’exprime instinctivement depuis dix ans, de plus en plus sérieusement, à travers des partenariats avec des événements exigeants et éclectiques, émergents comme confirmés : dans le désordre et sans les citer tous, les Aires Libres en Provence, le festival B-side à Marseille, Pantiero à Cannes, les Nuits Sonores de Lyon, le World Wide festivaà Sète…
MODERNE
Cette capacité d’attention polymorphe et sélective est certainement l’une des clefs de l’identité Sessùn : une marque ancrée dans son époque mais suffisamment subtile pour tendre vers l’intemporalité.
Rien d’étonnant à ce qu’Emma cite un grand Monsieur de la couture comme Paul Poiret quand on lui demande quel créateur impose son respect : le précurseur des années 20, tant décrié par Coco Chanel, avait pourtant donné les premiers signes du modernisme, en commençant à métisser l’élégance « à la française » avec les influences ethniques, le chic graphique et les curiosités exotiques.
Ce talent pour les conjugaisons -d’influences, de goûts, de disciplines- Emma le met à l’œuvre pour chaque collection Sessùn, mais aussi pour la visibilité de sa marque : l’automne 2009 marque l’ouverture d’une plus grande boutique parisienne. Rue de Charonne toujours, juste un peu plus loin, un bel espace avec mezzanine qui déclenche les envies de créer des événements, ateliers, ventes éphémères, de livres, de disques, des affiches thématiques, une mini collection enfant, du linge de maison pourquoi pas…
On peut par ailleurs annoncer le lancement de la ligne « Sessùn Play List »: sélection de douze pièces, vêtements, chaussures, ceintures et sacs, pour le soir. Quelque chose de plus audacieux, de plus rock.
En tous cas, l’envie de se faire plaisir est toujours intacte et transparaît dans ces propositions de séries limitées, de petites raretés : « pour ne pas se figer dans une logique qui deviendrait autre dès qu’elle touche à la diffusion en quantité ».
De la gourmandise raffinée.