Annuaire des créateurs de mode
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La petite robe noire
En 1926, dans le secret de son atelier de la rue Cambon, Gabrielle Chanel (1883 - 1971) coupe toutes les fanfreluches en vogue depuis la Belle Epoque, pour créer la garçonne des Années folles. Elle gomme les formes généreuses - supports des fantasmes masculins - derrière un simple fourreau de crêpe à encoulure ras-du-cou, qui tombe sous le genou. Pas de col, de boutons, de passementerie ; ni drapés, ni franges, ni volume : la petite robe noire, dépouillée et graphique, est née.
"Plus de poitrine, plus de ventre, plus de croupe !" se désolent les chroniqueurs mâles de l'époque, moquant l'allure de "petits télégraphistes sous-alimentés" que Coco Chanel vient d'inventer. "Les hommes eurent beau ironiser, ce ne sera plus d'eux seulement que dépendra le choix des femmes. C'est au goût simplificateur de Chanel qu'elles se fieront" relève Edmonde Charles-roux dans le Temps Chanel (La Martinière)."
La petite robe noire, qui semble aujourd'hui la quintessence du bon goût, lors de sa création par coco Chanel va à rebours de toutes les convenances de l'époque des années 20. Le noir est la couleur du deuil et des diaconesses. ou, ce qui n'est pas plus glamour, celle des domestiques. ou, pis encore, celle des femmes de petite vertu. Refusant le charme mièvre de la couleur, Coco, prêtresse du "chic pauvre", réhabilite le noir pour en faire le symbole de l'élégance parisienne. "Chanel a fait du noir l'instrument de son succès" estime Edmonde Charles-Roux. La rumeur selon laquelle Coco décida de plonger le monde entier dans le deuil après la perte de son amant anglais, Arthur Capel, en 1919, la rendait folle de rage....
Après le scandale originel - ingrédient opportun pour bâtir un mythe - la petite robe noire est prête pour la consécration, qui arrive très vite. Les femmes les plus célèbres l'adoptent. Piaf (1915 - 1963) d'abord, dès l'entre-deux guerres. L'interprète de Simple comme bonjour arbore une panoplie qui l'est tout autant : elle met Paris à ses pieds avec sa voix, sa croix et ...sa petite robe noire. Le moineau des trottoirs de Ménilmontant refuse tout artifice pour magnifier sa voix, et si c'est par manque de moyen qu'elle chante la première fois en robe noire d'étoffe bon marché, elle restera toute sa vie fidèle à cette allure. Même si, le succès aidant, la Môme s'en remet ensuite à Christian Dior pour draper de noir son mètre quarante-sept.
Autre icône : Juliette Gréco (née en 1927), héroïne existentialiste. Avec elle, la petite robe noire germanopratine enflamme le Flore et la coupole dans le Saint-Germain des prés d'après guerre.
Mais, plus que tout, c'est le cinéma qui va assurer sa gloire. Rita Hayworth (1918 - 1987) dans Gilda (fim de Charles Vidor, 1946), Delphine Seyrig en robe Chanel de mousseline volante dans l'Année dernière à Marienbad (film de Alain Resnais, 1973), et bien sûr Audrey Hepburn (1929 - 1993) dans Breakfast at Tiffany's (film de Black Edwards, 1961) : toutes jouent en noir. "C'était une soirée chaude, presque en été, et elle portait une petite robe noire toute fine et des sandales noires", écrit Truman Capote. Dans ce film de Blake Edwards tiré de son roman, Audrey Hepburn est en Givnchy, sa silhouette gracile magnifiée par une robe sans manches, à col rond, juste rehaussée de quelques rangs de perles. Succès planétaire. Quand Hubert de Givenchy (né en 1927) redessina ce modèle en 1993 pour une boutique new-yorkaise, la rupture de stock fut immédiate. En France, la petite robe noire crève aussi l'écran de la Nouvelle Vague. "En revêtant avec perfidie leurs héroïnes lisses et perverses de robes noires à l'érotisme sous-jaccent, ces cinéastes manipulateurs se démarquent des comédies américaines en Technicolor des années 1950 : ils vénèrent une femme moderne dont ils intellectualisent l'indécente sensualité", décode Didier Ludot, antiquaire de mode et auteur de La Petite Robe noire (Assouline). C'est en robe noire que Jeanne Moreau (née en 1928) entretien des Liaisons dangereuses (film de Roger Vadim, 1959) et prend des Amants (film de Louis Malle, 1958), et qu'Anita Ekberg mène la Dolce Vita (film de Federico Fellini, 1960). Monica Vitti est noire comme La Notte, Deneuve est belle de jour pour Bunuel en robe couleur nuit, griffée Yves Saint Laurent....Avec le cinéma, la charge érotique et mystérieuse de la petite robe noire éclate. Définitivement débarrassée de son image rigoriste, elle devient la robe du désir. Chaque femme, pas veuve mais joyeuse (et joueuse), veut en profiter aussi. Chacune veut s'emparer à son tour de cette parure sensuelle et équivoque.
L'Expressmag 22 Septembre 2005 Katell Pouliquen
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