“On construit quelque chose qui restera après nous et savoir qu’on fait ça, c’est hyper rassurant.”
Depuis toute petite Marguerite dessine et son frère l’admire. Alors quand il lui souffle l’idée de peindre sur des tee-shirts, elle s’emballe et s’amuse vite avec ce nouveau support. En 2011, ils lancent leur marque G.Kero, leur chemise Kamasutra est un carton, Kate Moss valide. Une belle histoire de mode qu’ils vivent en ne suivant qu’une seule règle : s’amuser.
D’où venez-vous ?
Marguerite : On vient du Cap Ferret dans le sud-ouest de la France. On a grandi au bord de la mer dans un endroit sauvage.
Petite, tu dessinais déjà ?
M : Oui, j’ai commencé à dessiner à 3 ans, j’étais passionnée. Je dessinais tout le temps, tous les jours, c’était mon refuge. Je faisais beaucoup de personnages, j’inventais des amoureux que je n’avais pas (à 4 ans j’étais déjà très romantique…). Puis j’ai commencé à peindre un peu plus sérieusement à 17 ans.
J’ai eu plein d’autres rêves qui se sont développés mais j’ai rattrapé celui-ci.
Tu imaginais en faire ton métier ?
M : Oui, j’ai rêvé d’en faire ma vie très tôt. Ensuite j’ai eu plein d’autres rêves qui se sont développés mais j’ai rattrapé celui-ci.
Quels étaient tes autres rêves ?
M : La musique et le dessin animé. J’ai d’ailleurs fait l’école La Cambre à Bruxelles. Puis j’ai peint des tableaux pour finalement revenir à un truc de dessin très amusant. Aujourd’hui, je me sens beaucoup plus libre de dessiner pour des vêtements que pour des galeries…
C’est drôle, on pourrait imaginer que la mode est bien plus contraignante…
M : Ça dépend de la personnalité de chacun mais moi j’aime bien jouer avec ça, justement. J’aime le côté très léger de la mode, même s’il faut du sérieux dans le travail…
Philippe : Le sérieux, c’est moi !
Et toi Philippe, quelle était ta vie avant de lancer G.Kero ?
P : J’étais journaliste, un peu au bout du rouleau. J’ai démissionné de mon job et je me suis retrouvé à Rio. C’est là-bas que j’ai fait faire les premiers tee-shirts avec des dessins de Marguerite parce qu’il n’y avait rien de très cool à porter. Quand je lui ai envoyé les photos, elle a bien aimé le rendu et a commencé à dessiner sur des tee-shirts pendant que moi je m’interrogeais sur ma vie…
M : Au début, c’était très compliqué d’avoir un rendu satisfaisant donc j’ai peint à la main pendant 3 ans, c’était drôle. Je travaillais à la demande, je gagnais ma vie comme ça. Et petit à petit, quand Philippe a vu que j’étais capable d’être un peu sérieuse et de me tenir à un projet, on a lancé G.Kero ensemble.
L’idée était que Marguerite soit la créatrice et que moi je mette tout en musique.
Qu’est-ce qui vous a décidés ?
P : Moi je n’avais plus d’activité, il fallait que je fasse quelque chose et ça s’est imposé. Et en fait c’est mon copain d’enfance, Arnaud, qui est plus entrepreneur que moi, qui est allé voir Marguerite en lui soufflant l’idée de créer une marque.
M : Quand il m’a vue partir les bras pleins de tee-shirts à livrer, ça l’a fait rêver ! Il pouvait investir 20 000 euros et c’est comme ça qu’on s’est lancés.
P : L’idée était que Marguerite soit la créatrice et que moi je mette tout en musique. J’ai commencé à chercher des fabricants. Je suis parti au Portugal comme Jacques Vabre à la recherche de grains de cafés ! J’ai trouvé une bonne usine et on a fait 5 000 tee-shirts. On les a proposés à deux boutiques, une à Bordeaux et une au Cap Ferret, et ils ont tout vendu. Suite à ça, grâce à Arnaud, on a pu rencontrer quelqu’un de très connu dans le milieu de la mode, qui nous a aidés à avoir une place au salon Who’s Next. On s’est retrouvés là-bas avec une collection qui a tout de suite plu (notamment aux Japonais) et c’était parti.
Tout ça s’est fait très naturellement finalement…
M : On est vraiment tombés dans la mode un peu par hasard parce que pour nous, au départ, c’était vraiment une histoire de dessin. Et puis petit à petit on s’est rendu compte qu’il y avait plein de possibilités avec les vêtements et qu’on aimait beaucoup ça.
P : C’est vrai que dans la mode et notamment dans le dessin imprimé, on ne trouve que des trucs bien faits et je pense que ce qui fait notre succès, c’est que Marguerite a réussi à garder une certaine émotion dans ses dessins, son coup de crayon rend quelque chose de vivant.
Petit à petit on s’est rendu compte qu’il y avait plein de possibilités avec les vêtements et qu’on aimait beaucoup ça.
Marguerite, qu’est-ce qui t’inspire ? Comment tu fonctionnes ?
M : C’est très innocent. Je suis entourée de couleurs, je prends des feutres et je commence machinalement à dessiner des choses. Après ça, je juge mon travail très férocement. Et je peux me dire : « Ah, c’est sympa ces filles nues, je vais faire une chemise pour garçons avec plein de jolies filles… ». J’ai déjà digéré mes inspirations, aujourd’hui j’ai 3 thèmes de prédilection : les personnages, les animaux et la nature.
Crédit photo : Alice Moitié
Qu’est-ce qui vous plaît dans le fait d’avoir créé cette marque ?
P : Moi je trouve super cool de mettre en avant un projet collectif. Par exemple on a rencontré une petite nana qui s’appelle Alice Moitié, qui est super touchante, géniale et très spontanée. C’était une copine de ma colloc qui faisait des photos avec son petit Olympus. Quand la photographe qui nous avait fait la première campagne nous a demandé plus d’argent, on a pris le pari de le faire avec Alice et depuis elle met en image toutes nos collections. C’est une vraie rencontre avec Marguerite, elles sont devenues très amies. Tout ça crée une communauté de gens qui font des choses ensemble… On a cette idée d’un projet un peu global qui irait au-delà de la mode pour insuffler un véritable état d’esprit.
On a envie de mettre un peu de naïveté, de candeur et de vérité dans le monde très brutal de la mode.
Et vous le définiriez comment cet esprit ?
P : On a envie de mettre un peu de naïveté, de candeur et de vérité dans le monde très brutal de la mode. Nous, on ne s’est pas dit : « On va créer une marque de tee-shirt, qu’est-ce qu’on va mettre dessus ? ». C’est juste Marguerite qui a eu envie de changer de support.
M : Moi je ne parlerais pas de naïveté mais d’un truc vrai. L’art est le repère des faux
Finalement c’est peut-être le véritable enjeu. Comment réussir à « rester vrai » dans ce milieu et ce business ?
P : Je pense que le moteur c’est notre amusement et le fait de nous faire plaisir. Si Marguerite n’a plus envie de dessiner des zèbres alors que c’est ce qui cartonne, on ne va pas le faire. On ne fait pas ça pour l’appât du gain. De toute façon, l’Etat français nous prend tout et nous persécute. On est en plein contrôle fiscal…
M : Moi je me dis toujours que quand les gens sentent que tu t’amuses, ça marche. Je suis une optimiste, je me dis que quand tu fais bien ton boulot, ça fonctionne ! Nous, on s’éclate.
Marguerite a hérité du coup de crayon de notre père qui a toujours dessiné.
Vos parents sont artistes ?
P : Marguerite a hérité du coup de crayon de notre père qui a toujours dessiné. Il a dessiné notre maison au Cap Ferret, où il voulait reconstruire le paradis perdu de l’enfance. Et il a été longtemps à la tête d’une maison de couture, Jacques Esterelle, qui était un grand couturier, même si aujourd’hui cette marque ne fait plus que des peignoirs et encore… On a 7 frères et sœurs donc à la maison c’était un peu concours de dessin. Mon père jugeait en disant : « Ça c’est bien, ça c’est pas bien… ».
Qu’a-t-il pensé de l’idée de lancer votre marque ?
P : Il pensait qu’on n’avait aucune chance d’aller nulle part ! Il venait de ce monde et avait revendu ses affaires parce qu’à l’époque c’était hyper compliqué, donc il ne pariait pas un kopek sur le truc. Maintenant il commence à se dire que c’est pas mal…
On est présents dans 22 pays, 160 boutiques dans le monde et 60 en France.
Comment a évolué la marque ?
P : On a fait 8 collections avec 56 références chaque saison et beaucoup de dessins car on ne multiplie pas les dessins sur différents supports. Les réseaux sociaux et le bouche-à-oreilles fonctionnent bien. On est présents dans 22 pays, 160 boutiques dans le monde et 60 en France.
Quelles sont vos envies ?
M : Moi, j’aimerais bien faire des films pour présenter des collections. On pourrait faire des trucs très drôles ou très jolis. On pourrait aussi ouvrir la porte à d’autres dessinateurs, ça pourrait être intéressant de créer un collectif d’artistes avec qui travailler, plutôt que de les laisser aller dessiner pour Zara.
P : Moi j’aimerais bien retourner au Brésil et rencontrer des gamins des favelas, travailler avec les enfants, il y a un échange à faire là-dessus… Le côté humain est hyper important parce que si tu as une marque de fringues pour être tout le temps derrière ton ordinateur…
M : Tu te demandes à quoi bon gagner ta vie…
P : Tu peux vite finir comme une caissière derrière ton tiroir-caisse et oublier de vivre.
On construit quelque chose qui restera après nous et savoir qu’on fait ça, c’est hyper rassurant.
Aujourd’hui, comment vous vous sentez ?
P : J’ai toujours le sentiment que c’est très fragile mais ça fait plaisir de sortir des choses et que ça existe. Même si ça s’arrête demain, on aura fait une chemise Kama Sutra, des trucs un peu iconiques quand même. On construit quelque chose qui restera après nous et savoir qu’on fait ça, c’est hyper rassurant.
Une devise : pas de mots, on fait les choses. L’action, il n’y a que ça de vrai.
Qu’est-ce qui vous booste ? la vitamine C (M) Moi, c’est la mort, je ne vis que par rapport à cette échéance. C’est un vrai moteur de joie. (P)
Qu’est-ce qui vous freine ? le mensonge, la trahison… (P) Rien. (M)
Vous auriez pu faire quel autre métier ? Je me serais vue dans les animaux, je pense (M).
Interview & photos : Marie Ouvrard